dimanche 28 juin 2009

Les Jivaro de Luc-Michel Fouassier

Histoires Jivaro de Luc-Michel Fouassier
Luc-Michel Fouassier était l’invité surprise de la dédicace de Patrick Dupuis à l’Amandier. Il est l’auteur des Histoires Jivaro, chez Quadrature évidemment.
Nous avons un peu discuté, assez pour que je comprenne que ce type est fou, un genre de passionné des mots, oulipien au possible, bref, un peu comme votre serviteur. Tenez, ces Histoires Jivaro sont 100 nouvelles de 100 mots. Le genre de contrainte qui ne peut pas laisser le créateur des 807 indifférent. Bien entendu, la réciproque se vérifie : les 807 ne pouvaient pas le laisser indifférent non plus. Alors vous pouvez lire son premier 807 (dossard 456) depuis hier.
C’est un passionné des mots, comme je le disais plus haut, mais un passionné actif, genre partageur. C’est ainsi qu’il organise des événements culturels dans sa ville d’Ozoir-la-Ferrière : concours de nouvelles (date limite d’envoi des textes mercredi, dépêchez-vous), le prix Ozoir’elles (jury exclusivement féminin) qui récompense un recueil de nouvelles (le Qui comme Ulysse de l’ami Flipo est sélectionné cette année), et le Salon du livre en novembre. On s’y retrouvera, n’est-ce pas ?
Au fait, ça donne quoi une nouvelle de 100 mots ? Je proposerai une lecture versatile à Pierre Ménard bientôt. En attendant, je me suis pris au jeu, alors pour lui rendre hommage voici un exemple de mon cru, 100 mots, pas un de plus :

Impressionniste

Le train de banlieue le menait tranquillement vers la capitale. La peinture achetée la veille dans son sac, il portait son regard sur la ville qui s’approchait.
Il était tôt. Il pouvait admirer un panorama que n’auraient pas renié Monet et Boudin, ses références ; un ciel d’estuaire, quoique moins changeant, avec des camaïeux de rose et de bleu, et une lumière rasante donnant des reflets cuivrés aux nuages de ce ciel parisien.
Il descendit du train, il longea les voies jusqu’au tunnel. Il sortit les bombes de son sac et commença à tagguer son nom : MoneZ.

lundi 15 juin 2009

L'Amandier dans le jardin de Patrick Dupuis

Ce mercredi 17 juin 2009, Patrick Dupuis dédicacera son recueil de nouvelles Nuageux à serein à la librairie L'Amandier de Puteaux, de 17h00 à 20h00.

L'Amandier
Librairie L'Amandier, PuteauxC'est à l'Amandier que j'achète la majorité de mes livres. Julie et Thomas, les deux libraires, conseillent, se démènent pour commander les livres aux petits éditeurs (je cite Quadrature et D'un noir si bleu) alors que d'autres se contentent des gros distributeurs, et surtout, ils organisent pratiquement toutes les semaines des dédicaces avec des écrivains de polars (Didier Daeninckx, Patrick Pécherot), jeunesse (Magali Turquin), nouvellistes (Gaëlle Pingault), des écrivains-slameurs...




Les deux casquettes
Nuageux à serein de Patrick DupuisPatrick Dupuis viendra donc ce mercredi, avec ses deux casquettes : celle d'auteur et celle d'éditeur. Éditeur parce qu'il a fondé Quadrature en 2004 avec quelques amis. Cette maison d'édition publie exclusivement des recueils de nouvelles. Soyons exhaustifs, vous trouverez chez Quadrature : Liliane Schraûwen, Kenan Görgün, Emmanuelle Urien, Laurent Trousselle, Françoise Guérin, Magali Duru, Jan Thirion, Viviane Faudi-Khourdifi, Agnès Dumont, Luc-Michel Fouassier, Gaëlle Pingault, Agnès Laroche et Éric Rouzaut.
Mais Patrick Dupuis est aussi écrivain. Il vient d'ailleurs de sortir un recueil de nouvelles, Nuageux à serein, aux éditions Luce Wilquin. Et pourquoi pas chez Quadrature ? Parce que, comme il le dit chez Magali Duru, « Un éditeur qui se respecte ne se publie pas lui-même ». Je n'ai pas encore lu son livre. La seule chose que je puisse en dire, c'est que c'est une belle couverture, très herbeuse (d'ou le titre de ce billet). Qui peut me compter le nombre de brins d'herbe ?
Bien entendu, elle ne manquerait pas ça, la régionale de l'étape, Gaëlle Pingault, sera de la fête.

Dans l'invitation que j'ai reçue de l'amandier, il est écrit : « Fans d’écriture et de nouvelles, blogueurs et aficionados littéraires, cette soirée est pour vous !!! ». Je crois bien que ça résume le truc. On se donne rendez-vous mercredi alors ?

jeudi 11 juin 2009

Spaghettis hugoniaises

Comme indiqué mardi, j'accueille exceptionnellement un invité sur ce blog en la personne de Xavier Garnerin qui illustre ce soir le stage d'écriture de pastiches avec cette recette très librement inspirée de la préface de Cromwell, la pièce de Victor Hugo.

Spaghettis hugoniaisesPour 4 personnes :
– trois bons kilogrammes de spaghettis en provenance de la supérette du coin
– un gros bocal de sauce bolognaise
Temps de préparation : 8 minutes

Servir l’air pénétré tout en agitant de grandes idées générales

NB : ce plat est adapté à la cuisine en collectivité, mais plus subrepticement

1- Instaurer l’avènement dans l’opposition
Du jour où Barilla a dit à l’homme : « Tu es double, tu es composé de deux êtres, un homme et une nouille, l’un périssable, l’autre immortelle, l’un charnel, l’autre aux œufs frais, l’un enchaîné par les appétits, les besoins et les passions, l’autre conditionnée dans la grandiloquence du rêve, celui-ci enfin toujours courbé vers la gazinière, sa mère, celle-là sans cesse vantée par la publicité, sa patrie » ; de ce jour les spaghettis hugoniaises ont été créées. Est-ce autre chose en effet que ce contraste de tous les jours, que cette lutte de tous les instants entre deux principes opposés qui sont toujours en présence dans la vie, et qui se disputent l’homme d’11 h 30 jusqu’à la somnolence postprandiale ?

2- Ne pas hésiter à fonder la thèse dans les références historiques habituelles, pour poursuivre
La cuisine est née du christianisme, la cuisine de notre temps n’est donc pas un drame ; car le caractère du drame n’est pas la pâte ; la pâte résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le dur et le mou, qui se succèdent dans l’eau bouillante, comme elle progresse avant toute chose de l’hypermarché au placard. Car la cuisine vraie, la cuisine complète, est dans l’harmonie du même. Puis, il est temps de le dire hautement, et c’est ici surtout que les exceptions confirmeraient la règle, tout ce qui est dans le commerce se retrouve dans l’assiette.

3- Conférer au pronom indéfini les vertus de la solution en travaillant sur le registre de la petitesse et du complexe
En se plaçant à ce point de vue pour juger nos petites recettes à quatre sous, pour débrouiller tous ces savoir-faire scolastiques, pour résoudre tous ces problèmes de goût que les critiques des deux derniers siècles ont laborieusement bâtis autour de la nouille, on est frappé de la promptitude avec laquelle la question, dans la cuisine moderne, ne se pose plus.

4- Rendre compte de la crétinerie des autres, qui non seulement se mêlent de parler de ce qu’ils n’entendent point, mais de plus ne nous arrivent pas à la cheville
Ainsi, que des pédants étourdis (l’un n’exclut pas l’autre) prétendent que la conserve, la sauce en boîte, le tube, ne doit jamais être un adjuvant possible à la nouille, on leur répond que la sauce en boîte, ça se mange, et qu’apparemment, ce qui se mange fait partie de la nourriture. Lustucru n’est qu’un Arlequin bicolore. Panzani sonne son pesant d’italien ; Panzani et Lustucru n’en sont pas moins d’admirables produits qui présagent de la sieste.

5- Convoquer une géométrie en kit pour trier dans un bouquet de qualificatifs opposés
Que si, chassés de ce retranchement dans leur seconde ligne de douanes, ils renouvellent leur prohibition de la conserve alliée à la pâte, de la sauce en boîte fondue dans la nouille, on leur fait voir que, dans la cuisine des peuples chrétiens, le premier de ces deux types représente la bête humaine, le second l’âme. Ces deux tiges de l’art culinaire, si l’on empêche leurs rameaux de se mêler, si on les sépare systématiquement, produiront pour tous fruits, d’une part des abstractions de vices, de ridicules ; de l’autre, des abstractions de crime, d’héroïsme et de vertu publicitaires. Les deux types, ainsi isolés et livrés à eux-mêmes, s’en iront chacun de leur côté, laissant entre eux l’abomination de la faim, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. D’où il suit qu’après ces abstractions, il restera toutefois à l’homme quelque chose à cuisiner : de la bonne nouille sanctifiée à la sauce des bas-fonds.

Xavier Garnerin

mardi 9 juin 2009

Un perroquet avec Xavier Garnerin

Recette du perroquet sur delirium-cocktails.com
Je n'ai absolument aucune honte à balancer un jeu de mots nullissime comme titre d'un article sur mon blog. Et je le prouve. Seulement, celui-ci est tellement nul que je suis obligé de l'expliquer. Un perroquet, c'est un petit mélange idéal l'été pour l'apéro : du pastis avec du sirop de menthe. Un pastis vert quoi.
Je ne vous parlerai pas de Vert pastiche (ah d'accord, vous dites-vous, perroquet, vert, pastis, pastiche), la revue dont on se demande si elle bouge encore, mais d'un atelier d'écriture de pastiches à la campagne, au vert. Je pense que maintenant vous savez de quoi je suis capable en termes de jeux de mots foireux et vous savourez la chance d'avoir été épargnés jusqu'à aujourd'hui.

Recette du perroquet sur 1001cocktails.comXavier Garnerin est un indécrottable pasticheur devant l'Éternelle (la Littérature). J'ai déjà parlé de son blog ici, c'est grâce à ses conseils que j'ai pu écrire ce doughnut à l'étroit, et pour savoir de quoi il est capable, lisez donc ses pastiches sur Mot compte double.

Ainsi, il organise un atelier d'écriture avec quelques amis et si l'expérience vous tente, vous êtes les bienvenus. Ne vous attendez pas à suivre un cours dans un salon de l'hôtel Lutetia en sirotant une coupe de champagne. Pas le genre de la maison. Non, cela se passera du 11 au 18 juillet, dans le village de Lermitagne en Haute-Loire. Le stage lui-même est gratuit, et comme il le précise lui-même « juste on participe à la bouffe et si on est pas accro au confort, y'a des endroits pour pieuter gratos, y compris un pré pour planter sa tente ».

Vous me direz si vous avez bu un perroquet avec Xavier Garnerin.

Avant de vous donner le programme concocté par les organisateurs, j'annonce que sous 48 heures il sera illustré sur ce blog par un texte de sieur Garnerin.


Intitulé : Petite cuisine d’auteurs

Objectifs
– développer ses capacités d’expression par le biais de l’écriture mimétique ;
– partager des analyses de la pratique ;
– participer à l’élaboration d’un recueil collectif ;
– faire le lien entre un texte et une iconographie.

Projet
Réaliser un livre de recettes de cuisine, où chacune sera écrite à la manière d’un auteur. Le texte n’a pas à respecter strictement les contraintes du genre (impératif prescriptif, etc.), mais cherchera plutôt à travailler sur la mise en scène de l’épisode culinaire.
On y adjoindra une photographie du plat concerné.
Exemples :
– œuf à la coque proustien ;
– bisque de calamars à la Volodine ;
– minuscules tapas du Père Michon ;
– tourte mauriacienne ;
– grande tarte à l’unique tranche de pomme à la Oster, etc.

Nombre de participants
Une douzaine

Dates
Du samedi 11 juillet au samedi 18 juillet

Lieu
Lermitagne (Haute-Loire)

Coût
– participation aux repas ;
– possibilité de gérer directement un hébergement en gîte (sur place) ;
– possibilité de camping gratuit ;
– hôtels à La Chaise-Dieu (15 km).

Contact
garnerin.xavier@wanadoo.fr

Xavier Garnerin, Sylviane Saugues

dimanche 7 juin 2009

Un dimanche au purgatoire

Évidemment, vous le savez, Françoise et moi, c'est une longue histoire. Littéraire, bien entendu. Cette histoire a commencé à l'époque où elle raflait tous les prix des concours de nouvelles avec ses deux amis Flipo et Urien. Puis elle a ouvert Mot compte double, une maison de fous, qu'elle m'a invité à rejoindre. Ce que je ne pouvais refuser. Quant à Manu Causse, c'est récent, quelques mois tout au plus, j'ai découvert son blog, sa musique, ses 807, pour enfin lire un de ses livres, et je ne le regrette pas.


Un dimanche au bord de l'autre de Françoise Guérin
J'avais aimé son premier recueil, Mot compte double (oui, comme le blog, pure coïncidence). Seulement, j'avais trouvé qu'il manquait de cohérence. Du reste, comme d'autres recueils de la maison Quadrature. Je dis cela sans aucune volonté de déprécier le recueil (excellent) ni le travail de l'éditeur (essentiel). C'est juste que je suis un vieux garçon bourré de principes parmi lesquels celui qu'un recueil doit être cohérent, au niveau du style, des thèmes. Cela ne remet absolument pas en cause la qualité de chaque nouvelle. Par exemple, j'avais adoré Coma, texte implacable, qui nous avait valu un passionnant échange concernant le temps du dernier paragraphe.
Un dimanche au bord de l'autre de Françoise GuérinMais revenons au dimanche. Eh bien, ce deuxième recueil, d'un point de vue cohérence, est parfait. Les nouvelles mettent en scène des psys, des patients. On pourrait craindre un recueil un peu lourd au vu des sujets traités. Seulement, Françoise a deux techniques. La première consiste à écrire des choses intelligentes (elle connaît bien les sujets, ça aide). La seconde, à les écrire intelligemment. Très bonne idée, par exemple, que ce Divan qui revient entre chaque nouvelle, il aère le recueil. Écouter à ce propos la lecture du premier Divan par Sylvie Pavot.
Autre méthode pour capter le lecteur : le style. Françoise mêle l'humour, le mot juste et le rythme. Et le musicien que je suis est très sensible au rythme. Pour se rendre compte ce que signifie le rythme selon Guérin, écouter la page 48 (c'est un vrai acteur qu'il aurait fallu, pas un lecteur amateur comme moi) : jeux de mots, monologue, dialogue, etc.
Difficile pour moi de dire quelles nouvelles je préfère. Ce serait comme choisir un chapitre d'un roman. Bon, je vais le relire, au cas où.
Son recueil a reçu le prix Missives (Poste et l'Atelier du Gué), ce qui lui vaut un bon soutien dans la revue Brèves (dont je parlerai demain).
Et je ne mentionnerai pas son polar À la vue, à la mort, au Masque, on en parlera quand elle sortira le deuxième opus, d'accord ?
Un dimanche au bord de l'autre a paru à l'Atelier du Gué.


Visitez le purgatoire (emplacements à louer) de Manu Causse
Visitez le purgatoire (emplacements à louer) de Manu CausseCommençons par être désagréable. Ça n'a pas été simple d'acheter ce recueil en librairie. Je vous conseille plutôt de le commander directement auprès de l'éditeur, vous gagnerez du temps. Voilà, c'est fait. Passons à l'essentiel.
L'écriture de Manu est hypersensible, à la limite de la poésie parfois, et, qualité que j'apprécie, elle est faite d'empathie. Oh, pas d'empathie superficielle, pas celle des "je vous ai compris" de circonstance. Manu sait partager la douleur de ses personnages tout en prenant le recul nécessaire pour éviter le voyeurisme. Car Manu est un funambule.
Alors qu'elle habite chaque texte de Manu, la poésie domine complêtement Som. C'est le seul texte qui m'ait déçu. Certainement suis-je un mauvais lecteur, pas assez aveyronnais parce que trop normand, pour goûter à cette poésie-là. Un peu comme ce que je ressens souvent en écoutant de la musique classique, j'admire la construction, les harmonies, les musiciens mais ça ne me transporte pas (je suis aussi mauvais auditeur).
Autre petit bémol, la fin de l'excellentissime Chasse à l'homme, que j'ai trouvée trop explicative. J'aurais aimé qu'il la ferme un peu le gendarme, que la fin claque.
Mis à part ces deux remarques, j'ai adoré ce recueil ; le mystère qui enveloppe progressivement Adam et Eve, ou la vie exaltante de M'sieur Luc très bien rendue. Et puis Atlas.
Parlons d'un sujet que je ne maîtrise pas. Atlas, c'est l'antithèse de la gay pride, c'est parler d'une relation homosexuelle avec finesse, sans cliché, sans provocation. La gay pride, c'est "je suis pédé et je t'emmerde", certainement une réaction à l'homophobie, pas le meilleur moyen de la combattre. Manu, quant à lui, se place dans la normalité, voire l'universalité, analyse la douleur de la perte, fût-elle celle d'un homme pour un autre homme. Et je suis flatté que cette douleur-là s'appelle Franck, prénom somme toute commun mais peu utilisé en littérature. Je suis persuadé que les homosexuels n'aspirent qu'à l'indifférence, je veux dire qu'on ne considère plus leur sexualité comme un critère (pour un poste, une adoption, un logement, etc.), et je pense que des textes comme Atlas peuvent y contribuer, lentement. Finalement, Atlas ne parle pas de relation homosexuelle, il parle du deuil, de ce monde qui s'écroule face à la perte de l'être aimé, et seul Atlas peut soulever ce monde.
Si vous n'êtes toujours pas convaincu qu'il faut lire ce recueil, voyez comme en parle (bien mieux que moi) Magali Duru, une pépite.
Je voudrais terminer en tirant mon chapeau à l'éditeur. J'ai rarement lu chez un petit éditeur si peu de coquilles, de fautes, et la typographie est impeccable. Il a débauché les correcteurs de Gallimard ? J'apprécie, c'est une question de respect du lecteur.
Visitez le purgatoire (emplacements à louer) a paru aux éditions D'un noir si bleu.

La prochaine fois, je vous parlerai de deux revues: Brèves et l'Encrier renversé.

lundi 1 juin 2009

Europe et Turquie : futur conditionnel ?

Sachez que je suis opportuniste. Alors, je profite des élections européennes pour vous donner à relire un texte publié l'année dernière sur Mot compte double.



Europe et Turquie : futur conditionnel ?
On le sait, l’Europe frappe à la porte de la Turquie depuis des années. Mais les Turcs usent de toutes les ruses pour reporter cette ouverture. Les raisons, on les connaît : droits de l’homme et de la femme, religion, économie, etc.

Ainsi, la Turquie craint un flot de catholiques, et il faut avouer que sa constitution laïque et républicaine accepterait mal ces monarchies de la vieille Europe, comme la Grande-Bretagne ou la Belgique. Elle accepterait encore moins des pays comme la Pologne qui seraient complices de transports de prisonniers par la CIA en dépit des droits de l’homme, des conventions de Genève. Que dire aussi d’un pays comme la France qui donne des leçons de démocratie en ratifiant par la voie parlementaire un traité que le peuple a refusé par la voie référendaire ? Enfin, ne parlons pas non plus des scandales politico-financiers dont la France – encore elle – semble s’accommoder comme avec les affaires Elf et Clearstream. Oui, la Turquie a peur de cette Europe, comme on craint tout ce qui est différent, et on la comprend.

Cependant, là ne sont pas les plus grands obstacles. En effet, la grande différence entre la Turquie et les pays d’Europe reste la question du temps. Quel temps, me direz-vous ? Tous. Nous parlerons du futur.

Le turc possède 8 temps déclinés en 6 modes. Certaines associations temps-modes n’ayant pas de sens, cela donne 36 conjugaisons (et non 48) contre 23 pour le français (d’après Le Conjugueur). En ce qui concerne le futur, nous en avons 2 en français (simple et antérieur) et 6 modes pour le futur turc. D’aucuns me rétorqueront qu’un conditionnel peut aussi avoir valeur de futur dans le passé, ou que la forme « je vais manger » n’apparaît pas dans la liste alors qu’elle exprime un futur imminent. Alors, disons que nous traiterons ici des déclinaisons des verbes car la force de la conjugaison turque réside dans la suppression de toute ambiguïté, une déclinaison verbale n’a qu’un sens, et elle ne s’encombre pas d’auxiliaire ou d’autre forme verbale composée ; un seul mot décide du temps, du mode. Quittons la théorie pour un peu de pratique.

Prenons un verbe du premier groupe : loller. Pour la définition de ce verbe, cliquez ici et pour sa conjugaison complète, cliquez .

En turc, loller se traduit lolmak. Car j’en ai décidé ainsi.
Conjuguons en turc et au futur :



Dans la conjugaison, vous noterez que lol représente le verbe, que acak indique invariablement le futur quel que soit le mode, ce qui suit correspond au mode conjugué, et en turc, m termine chaque verbe à la première personne du singulier.

C’est pourquoi, lors d’un sommet turco-européen, à la question « accepterez-vous l’entrée de l’Europe en Turquie ? », le diplomate turc, facétieux car connaissant la pauvreté de la conjugaison française (ou anglaise), pourrait répondre au choix : kabul edeceğiz ou kabul edeceksek (note : kabul etmek = accepter). Deux réponses au futur. La première en futur simple signifie « oui », la seconde en futur conditionnel « cours toujours ! ».

Pour sûr, si on lui pose cette question, le diplomate turc lollera, pardon, lolacak...

Et pour le plaisir, voici la conjugaison de loller au futur conditionnel :

Ben lolacaksam
Sen lolacaksan
O lolacaksa
Biz lolacaksak
Siz lolacaksanız
Onlar lolacaklarsa

Attention, certains i de cette chronique n’ont pas de point, c’est exprès. Si le turc vous passionne, nous parlerons de l’euphonie une prochaine fois, pour apprécier Nâzım Hikmet en V.O., un poète que Monique Coudert nous a déjà présenté ici sur Mot compte double.
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Merci à Alexis Beuve et Jean-Paul Lamy.
Dessin de Daniel Maja. Visitez
la vie brève son blog au jour le jour.