lundi 6 février 2012

Je serai ton miroir

Littérature et musique ce soir avec le recueil de nouvelles Tous nos petits morceaux d'Emmanuelle Urien et de I'll be your mirror du Velvet Underground (oui, encore).


Si les miroirs parlaient...
Tous nos petits morceaux d'Emmanuelle UrienTous nos petits morceaux, publié en septembre 2010, a tout pour me plaire, un auteur au style précis, implacable, un excellent éditeur (on va finir par croire que j'ai des parts chez D'un noir si bleu ou que je voudrais qu'ils me publient, faux deux fois) et un thème, ici : le miroir.

Je pensais qu'Emmanuelle allait passer en revue toutes les déclinaisons du thème, explorer toutes les pistes, nous fournir un kaléidoscope de couleurs noire et grise, mais elle a appliqué à la lettre une méthode : faire parler des miroirs. Mises à part deux nouvelles, chaque texte fait littéralement parler un ou plusieurs miroirs. Ainsi, je suis déçu par Témoin spéculaire. Le miroir décrit une scène (certes forte, certes intolérable) seulement, qu'apporte-il à l'histoire ? Pourquoi pas un narrateur impersonnel ? Ici, je ne trouve pas l'intérêt de l'exercice de style, le miroir ne sert à rien.

Là où l'exercice devient intéressant, voire passionnant, c'est quand le miroir intervient réellement, devient personnage, comme c'est le cas avec Psyché et Thanatos. Je n'ai jamais lu de texte aussi fin sur le mal-être d'une ado, presque femme, le corps comme obsession, le genre d'obsessions qui mènent à l'anorexie ou la boulimie, comment accepter ce corps qui change, le regard des autres, et dans cette nouvelle on ne sait jamais si la perception de l'ado vient d'elle ou du miroir qui la parasite, et le psychologique et le fantastique se répondent dans une danse diabolique. De la belle ouvrage. Du Urien grand cru.

Ainsi, l'exercice de style s'éloigne à mesure que les miroirs deviennent personnages. C'est le cas évidemment avec le premier texte du recueil, Éclats de miroir, un véritable festival. Je connaissais déjà cette nouvelle qui a gagné nombre de concours jadis. D'habitude, je lis en dernier (ou pas du tout) les textes que je connais dans un recueil, mais j'avais tellement adoré celui-ci, que je me suis précipité pour le relire. Et cette chute, très Urien, imparable.

Autre exemple, ce dialogue dans Tentative réussie d'approche de l'infini entre deux miroirs d'un bar-PMU, deux narrateurs pour une même scène (un couple assis à une table), rai de lumière positive dans le noir habituel de l'auteur. Elle inverse ici les rôles, les miroirs sont les personnages alors que le couple devient le sujet de leur conversation.

Et puis, il y a Le jeu du miroir, le dernier texte. Les recueils d'Emmanuelle Urien sont les seuls que je lise en respectant l'ordre des nouvelles. Parfois, je saute un texte si je le connais déjà, mais en général je lis dans l'ordre. Parce qu'elle sait donner le ton de ses recueils avec le premier texte et qu'elle me cueille avec le dernier. Et celui-ci, très fort, à plusieurs chutes, referme parfaitement le recueil.

Je ne suis pas déçu, je m'attendais juste à autre chose. Malgré tout, Emmanuelle Urien parvient à se détacher de l'exercice un peu artificiel pour retrouver son propre style. Je ne sais si ce thème était pour elle un pari qu'elle a relevé, une volonté de fédérer des textes sur un thème précis qui lui importe, un moyen d'écrire autrement un recueil, un besoin de contrainte pour écrire de nouveaux textes, mais ce qui en résulte, c'est encore un recueil au-dessus de la mêlée.

L'homme regarde le miroir, le miroir regarde l'homme peut-on lire en exergue du recueil (citation de Koan Zen). Ça colle parfaitement au recueil d'Emmanuelle. Je lui avais proposé I'll be your mirror, reflect what you are, in case you don't know de Lou Reed, tout de suite plus prétentieux. Et voilà la transition !


The style it takes
Cette chanson du Velvet Underground, I'll be your mirror me hante depuis 20 ans. Peut-être parce qu'on peut tout dire du miroir. Le texte, simple, permet plusieurs niveaux de lecture. Lou Reed a écrit une chanson d'amour, mais le texte peut aussi dire l'amitié, le travail d'un artiste lorsqu'il souhaite décrire le monde, tel qu'il est, tel qu'il devrait être.

Cette chanson, je l'ai jouée et chantée sûrement des centaines de fois, seul ou en groupe, à la basse, à la guitare ou au piano, en salle de répète sous la cafète de l'IUT du Havre au salon confortable de ma maison aujourd'hui. Et à chaque fois que je la chante, bien ou mal, c'est comme retrouver un ami, les accords viennent instantanément (faut dire qu'il n'y a en que 3 et demi), les mots aussi.

Et comme toujours, comme avec Satie, comme avec les pastiches (vous voyez, je suis cohérent parfois, comme garçon), j'ai toujours voulu comprendre pourquoi elle m'attirait tant, et comment Lou Reed l'avait écrite. Pasticher Satie, par exemple, c'est mettre un peu de soi pour créer avec le style d'un autre. Là, l'exercice est différent, j'ai décidé de prendre la chanson et de la tordre dans tous les sens. Trouver un arrangement au piano, ou partir de la version soft initiale pour y claquer des accords avec une fureur grunge, ou moduler le chant quitte à légèrement changer la mélodie. Et miracle, elle tient toujours debout.

C'est la leçon de l'écriture de Lou Reed, la simplicité. Pas besoin d'effets, de tonnes de violons, de solos endiablés, la chanson tient. Pour la littérature, je pense qu'il doit en être de même. Virer le gras. Virer les personnages inutiles, les adverbes racoleurs, les lourdes subordonnées, le vocabulaire ampoulé. Et le moyen d'y parvenir, pour moi, c'est la nouvelle, le texte court.

Le ridicule n'a jamais tué, surtout moi, j'ose tout (c'est à ça qu'on les reconnaît, il paraît). Alors, je vous livre ce soir trois versions de I'll be your mirror, j'en prépare d'autres, mais je vous épargnerai la totale, n'ayez crainte.

La première a 20 ans, mon âge à l'époque. En trio : Laurent Guiod à la batterie, Benoît Castellot à la basse et votre serviteur à la guitare et au chant. L'arrangement est de Benoît. Conditions d'enregistrement : magnéto K7 au centre de la pièce (une cave sous la cafète de l'IUT du Havre, vous avez suivi).


Les deux suivantes ont été publiés sur les 807 (Boule à facettes et Messages personnels).
Piano/voix :


Guitare/voix :

samedi 4 février 2012

Items 171 et 208

Alors que viennent de paraître chez publie.net les 180 premières todo listes, je vous propose ce soir, après les numéros 73 et 134, deux nouvelles images de votre serviteur augmentées des mots de Christine Jeanney.

Si je vous conseille la lecture de l'epub, ce n'est pas pour mes talents de photographe, je connais mes limites, mais c'est avant tout pour la poésie de Christine et la qualité de bon nombre de photos.

Dans ma todo liste perso, il y a deux projets qui commencent à prendre forme, qui mêleront musique et littérature, et qui subiront un coup d'accélérateur quand je donnerai les clefs des 807. 2012 s'annonce créatif.

todo liste, 171


– ce moment où : tu t'ébouriffes un peu, tu te masses le cou, tu orientes la lampe, le maquillage, un trait de bleu qui a coulé, le réécrire, l'estompe du noir à accentuer, les cils sombres comme tu le veux, rire quand l'autre passe, on se congratule mais le rétablissement à la dernière seconde, quel frisson, tu as caché l'hésitation sous une maladresse comique, on s'en est bien sorti cette fois

– ce moment où : la pénombre, le rideau, les coulisses, l'isolement, au dedans, soi dans l'obscur, se deviner, s'espérer, s'attendre, se chercher fébrile comme on retourne en trombe le contenu fou d'un tiroir

– ce moment où : tu te rassembles, chaque muscle en toi retrouve sa place, sa tension juste, tu es une mécanique huilée, une boule parfaite, parfaite sphère qui va se déployer dans toutes les directions, tu as confiance, malgré cela tu trembles

– ce moment où : arrive le lever, debout, la pénombre, le rideau, la lumière crue, à l'intérieur tu hurles que tu n'as pas peur, bravache, tomber ou s'envoler, les deux mon général, tu respires, mais tu voudrais qu'avant, d'un doigt seulement, on te caresse la joue, quelqu'un


todo liste, 208


– ah ! le gratin de chx fleuy, j'adore ça

– vous m'en mettrez trois tripotées, ma bonn'dame, avec un kilo de scr et ce sera tout

– vous n'êtes pas très causante par contre, malgré l'accorte face qui vous caractérise, êtes-vous sûre que ça va ?

– et là, elle ôte ses mains de bois qu'elle enlève comme des gants, pose sa tête sur la table avec un grand soupir, saisit la chaise et s'y assoit, cette fatigue qu'elle a, elle commence à parler, à parler, ça fait un grand tapage, les passants dans la rue s'arrêtent pour l'écouter, aucun n'ose l'interrompre, et même encore maintenant, dans cette rue-là, les gens y pensent, parfois ils s'interpellent, ils se disent (pas trop fort, avec des airs pudiques) Tu te souviens du jour ? et de ce qu'elle a dit ? et puis ils hochent la tête (là des airs entendus), ils se souviennent, et même très bien, de quand la femme de bois a égrené sa peine en vidant sa caboche et du monceau de plaies qu'elle a mis sur la table, et comme c'était grotesque et touchant à la fois