lundi 24 janvier 2011

Écriture gnossienne

Erik Satie par Suzanne ValladonJe ne suis pas mélomane. J'écoute et je joue peu de musique classique pour deux raisons simples : je n'ai pas la culture ni le niveau technique. Satie fait partie des rares exceptions. Bien entendu, notre ville natale commune pourrait nous rapprocher. Mais je ne crois guère aux liens de la terre. Autre chose m'attire.

J'ai entendu parler de l'homme avant de connaître sa musique. J'apprécie particulièrement le personnage pour son humour (tout comme Allais, autre natif de Honfleur) et sa simplicité. Deux points que l'on retrouve dans sa musique. Ajoutons aussi cette probable fêlure de l'âme qui faisait de lui un être à part, juste à côté, une dissonance, comme ses notes hors gamme qu'il affectionne et qui donnent relief et étrangeté à ses compositions.

Je joue maintenant les trois premières Gnossiennes (vous pouvez écoutez mes limites pianistiques sur les 807 : triptyque gnossien). Je n'ai pas le niveau d'un Didier da Silva au piano (1). Je vous parle de lui parce que ce qu'il écrit ici sur Satie vaut pour moi. J'ai découvert les blogs de Didier da Silva (Les idées heureuses et Halte là) dans les liens de l'Autofictif. Puis, sans faire le rapprochement, j'ai lu un de ses textes hilarant sur le rewriting dans la revue Inculte. Évidemment, à l'annonce de la parution de son livre Une petite forme (chez P.O.L) (2), je me suis derechef (3) dirigé vers ma librairie.

Inculte #17Une petite forme de Didier da SilvaL'Automne Zéro Neuf de Didier da Silva


Revenons à Satie et à sa musique. Pour la décrire, nous avons déjà parlé d'humour (les titres valent le détour, les annotations aussi), simplicité, dissonances (maîtrisées). Deux autres éléments interviennent : la brièveté (les pièces sont courtes) et la répétition (les phrases sont répétées une fois dans un jeu de découverte/reconnaissance). En fait, je trouve dans la musique de Satie tout ce que je recherche en littérature. Pas étonnant qu'elle m'attire.

Pour moi, jouer Satie demeure une drôle d'expérience, hypnotique. Je peux jouer les Gnossiennes en boucle. Une impression de me trouver chez moi dans sa musique se mêle à l'addiction pure. Il me fallait comprendre comment il fait. Et jouer ne suffit pas. C'est pourquoi j'ai décidé d'écrire à mon tour une Gnossienne, pasticher Satie comme je pastiche NDiaye ou Mauvignier, entre hommage et étude, se rapprocher pour pouvoir s'en détacher. D'où la Gnossienne n° 807 publiée avec cette histoire improbable de partition inédite. J'annonce que la Gnossienne n° 808 est en préparation pour une écoute dans quelques posts sur ce blog.

Je continue donc l'étude de Satie pour progresser dans mon écriture.


Gnossienne n° 807, composée et jouée par Franck Garot (c) DR
____
(1) Encore moins le talent d'un Alexandre Tharaud, dont l'écoute a été un catalyseur et m'a donné l'envie de me plonger dans les Gnossiennes
(2) Il sort aussi
l'Automne Zéro Neuf chez Léo Scheer
(3) Clin d'œil à son article pour la revue Inculte

samedi 22 janvier 2011

Passage en revue

Vous pouvez lire mon texte Le retour de Babylone dans le premier numéro de la revue Distortions qui paraît en format numérique. J'ai répondu positivement à l'appel d'amies huitcentseptistes en écrivant sur le thème imposé : colères de la ville.

J'ai dédié ce texte court à Joël Hamm tant je l'ai senti derrière moi lorsque je l'ai créé, tant j'ai vu son ombre sur le clavier. Cliquez sur l'image pour accéder à la revue.

Je ne sais où va cette revue. Sûrement nulle part comme tout projet artistique, comme mes projets. Et je continue d'écrire, et parfois de composer, parce que même si le voyage mène nulle part, même s'il est parfois dur, voire cruel, il est parsemé de belles rencontres.

J'en profite pour signaler la naissance d'une autre revue, À la dérive qui se définit comme « la revue qui ne sait pas où elle va ». Le thème de son premier numéro : bâtir de beaux monstres. On m'avait aussi sollicité mais n'ai pas trouvé le temps d'écrire, ou composer. Une prochaine fois sûrement.

samedi 15 janvier 2011

807 : fin de l'acte II

Les 807 partent dans quelques jours en vacances pour une durée indéterminée. Cela leur permettra de réfléchir s'ils rempilent pour une troisième saison et, dans ce cas, avec quelle formule. Vos propositions de formule sont les bienvenues.
Photo (c) Estelle Ogier
Je ne savais pas à quoi m'attendre avec cette deuxième saison, certains ne croyaient pas à la formule du triptyque, d'autres souhaitaient que je leur indique une direction (aphorisme ? micro-nouvelle ?), la liberté c'est un peu déstabilisant au début. Finalement, chacun a apporté avec ses mots : ses doutes, ses angoisses, ses bonheurs, ses jeux ; bref, de la matière vivante. Comme pour la première saison, la richesse de cette aventure vient de la différence des participants.

Je vous rassure tout de suite, le taulier ne va pas s'ennuyer, bien occupé avec Poker is war, une expérience d'écriture à six mains. Et si vous ne pouvez vous passer de nombres, retrouvez le 808 dans le Convoi des glossolales tous les lundis, et maintenant les jeudis aussi.

Enfin, comme cadeau, voici la préface du livre Les 807 (toujours en vente ici). C'est ma première et unique préface à ce jour. Le plus important dans ces lignes, ce sont les remerciements, sincèrement. Je les renouvelle, et les étends aux nouveaux participants et lecteurs. Et comme je vous connais, je devine votre question : la saison 2 sera-t-elle publiée en livre ? La seule réponse que je puisse vous donner aujourd'hui sera laconique et normande : peut-être que oui, peut-être que non.
samedi 27 mars 2010
0 – Préface

Vous tenez entre les mains un livre unique. D’une part par le nombre d’auteurs, une centaine, d’autre part parce qu’il s’agit d’une suite de déclinaisons du nombre 807, drôle d’idée. En d’autres termes, ce livre, c’est n’importe quoi. La suite, logique diront certains – alors que logique, cette entreprise est tout le contraire –, du blog du même nom.

Il me faut donc parler du blog, de sa genèse. Nouveau dans ce monde qu’on appelle la blogosphère, je publie en décembre 2008 un article qui parle de L’Autofictif, le blog d’Éric Chevillard et de celui, fermé depuis, de Xavier Garnerin. Je pose, sans aucun calcul, les bases de ce qui allait devenir les 807. Je relis mon article plusieurs fois les jours suivants (une technique comme une autre pour augmenter le nombre de visites de mon blog) et je me dis que finalement, cette idée des 807, pourquoi pas ? Je contacte deux amateurs de l’œuvre chevillardienne pour leur proposer de tenter l’aventure, Clopine Trouillefou et Xavier Garnerin, puis deux autres, Emmanuelle Urien et François Bon. Ensuite, tout s’enchaîne rapidement, comme une cigarette allumée jetée dans un buisson provençal en plein vent sous un cagnard aoûtien. L’incendie prend, je reçois des dizaines de propositions, en rejette un bon nombre, et nous arrivons, après quelques mois, à 807. Mon seul talent dans cette affaire reste d’avoir été une allumette, un catalyseur. On m’a aussi traité d’animateur, d’éditeur, de génie, de taulier, de malade. Je le concède volontiers, je suis un taulier.

Les 807 constituent surtout une expérience participative inédite, sorte d’atelier d’écriture virtuel où chacun apporte son style, ses thèmes, en se confrontant à la contrainte. D’aucuns parlent d’esprit oulipien, comme si toute écriture à contrainte était oulipienne. La référence est certes flatteuse, mais grandement surestimée. L’Oulipo, c’est de la littérature, les 807, un divertissement vaguement littéraire. Ce qui lie chacun des auteurs, c’est le jeu. Oui, le jeu avant toute chose.

Et Éric Chevillard, dans tout ça ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les 807 ne sont pas qu’un repaire de fans de l’écrivain. Bon nombre de participants ne l’ont pas lu, d’autres m’ont avoué ne pas apprécier ses livres. Bien entendu, il ne faut pas le nier, ce n’est pas une maladie honteuse, certains l’apprécient beaucoup (j’ai déjà donné quatre noms). En ce qui me concerne, je suis partagé entre l’admiration et la totale incompréhension.

Quant à Éric Chevillard, je ne l’ai nullement concerté, n’ai pas demandé d’autorisation et ai pompé sans scrupules quelques-uns de ses aphorismes pour les 807. On m’a dit que ça le faisait marrer. Puis, ne pouvant nier qu’il était au courant je lui ai proposé via une intermédiaire de charme de terminer l’expérience, et je le remercie une nouvelle fois pour ce 807e 807.

J’anticipe votre lecture du 806e : merci aux participants, merci aux lecteurs. Et merci à Xavier Garnerin pour le boulot que représente cette version papier.
~ franck garot

Merci à Estelle Ogier pour la photo. Retrouvez ses triptyques sur Espace childfree.

lundi 3 janvier 2011

C'était les Glossos

Je suis actuellement dans l'écriture d'un livre ambitieux (taille, forme et contenu) avec deux comparses ce qui réduit considérablement mon temps de cerveau disponible pour mes autres projets. Mes deux seules récréations littéraires sont les 807 (que je compte suspendre prochainement) et depuis peu, le convoi des glossolales.

Drôle de convoi
Ce blog collaboratif a pour taulier un dénommé Anthony Poiraudeau qui chaque jour agrège des paragraphes (un par auteur) reçus la veille et publie le tout sans ordre particulier, sans lien non plus. La seule contrainte pour ceux qui le souhaitent étant de se tenir à une fréquence. Les auteurs ne se connaissent pas forcément, ni ne savent ce que les autres envoient. De la juxtaposition des paragraphes naît un grand n'importe quoi, une poésie inédite.
Peut-être ne connaissez-vous pas le sens du mot glossolale (n'ayez pas honte, c'était mon cas). Il n'y a guère que Claro pour utiliser glossolalie (lu dans CosmoZ, un clin d'œil ?). Le Trésor de la Langue Française informatisé parle d'un don surnaturel de parler spontanément une langue étrangère (chez les premiers chrétiens) ou encore d'une langue inintelligible que parlent les mystiques en début d'extase ensuite concernant une expérience de glossolalie : les vrais chrétiens et les poètes trouvent presque fatalement l'expression rythmée, poétique. Je parlais de n'importe quoi et de poésie... Enfin, d'un point de vue médical : Langage imaginaire de certains aliénés, fait d'onomatopées dont la relative fixité au point de vue de la syntaxe et du vocabulaire permet la compréhension dans une certaine mesure. Bref, un truc de malades, donc parfait pour moi.

J'ai donc décidé de rejoindre ce convoi fol et envoie chaque lundi un paragraphe le plus souvent écrit le matin même dans le tramway sur le téléphone mûre en anglais prêté par mon entreprise. J'ai ajouté comme contraintes d'écriture que chaque paragraphe comporte le nombre 808, commence par un prénom (par ordre alphabétique) et que les personnages se retrouvent tous dans la rue pour un événement à définir. Je ne sais pas comment travaillent les autres. En ce qui me concerne, je n'ai pas de paragraphe d'avance, et n'ai qu'une vague idée pour la dernière contribution.
Je rassemblerai le résultat sur Vers minuit. Je reproduis en avant-première le paragraphe livré aujourd'hui, en ligne demain (ne le dites pas à Anthony, il n'est pas au courant) :
Gwen se réveille dans un lit qui n'est pas le sien auprès d'une femme qu'il connaît depuis quelques heures à peine. Enfin, il ne connaît d'elle que ses lèvres, sa chaleur et ses rondeurs. Il n'en souhaite pas davantage. Il se souvient d'une partie de cash game la veille où il a encore plumé des fishs (devrait-il dire écaillé ?). Pas besoin de mémoire pour savoir la suite, l'éternel triptyque de ses nuits rythmées au blues : bar, club, hôtel. Une soirée que son banquier comptabilisera à 808 euros, rien en regard de ses gains. Il se lève, ramasse ses vêtements dispersés dans la suite nuptiale. C'est en voyant le nom de l'hôtel en sortant, Hôtel Azur, que lui revient son programme des trois prochains jours : il s'envole aujourd'hui pour Malte où il assistera à une conférence et en profitera pour continuer la formation de poker qu'il dispense à ce jeune Alex, ou Soren, à moins qu'il ne s'appelle Romain ou Clovis. Il lui faut héler un taxi. Justement en voici un qui passe devant lui et stoppe à l'arrêt de bus proche. Il a entr'aperçu le visage dévasté du client. Le blues toujours. Passons maintenant à la Grande Bleue.

Bien entendu, ce Gwen existe. Il sort directement du livre en cours d'écriture. C'est un bonus, une scène coupée au montage à situer, sauf changement, entre les chapitres 5 et 6 de Poker is war (éditions Praxeo). Quant au client du taxi, c'est le Benoît du 29 novembre 2010, l'écriture sans plan n'empêche pas le tressage narratif.


C'était
C'était de Joachim SénéJoachim Séné que vous avez pu lire sur ce blog lors de mon unique participation à ce jour aux Vases communicants a lui aussi rejoint le convoi depuis quelques mois. Il a décidé de participer chaque jour ouvré et ses contributions commencent toutes par C'était. Voici les 5 premiers paragraphes qui représentent la première semaine :
C'était subir chaque matin la stridance du radio-réveil, l'appel au levé, au garde-à-vous et avoir, à ce moment, depuis son lit, la vision du bureau, là-bas, et du temps à y passer, assis, tête baissée vers l'écran.

C'était d'arriver le matin pour trier les mails, passer du temps, classer en listes. Jusqu'à la première sonnerie du téléphone, ou jusqu'au premier mail urgent.

C'était lancer une blague, potache, à travers l'openspace, et dépressuriser d'un coup tout le bureau, pendant cinq minutes, avant que l'entrechoc plastique et liquide des claviers ne reprenne.

C'était mettre le casque pour visionner une vidéo tout juste reçue par mail, et ne pas rire trop fort. La faire suivre, éventuellement, choisir à qui.

C'était, au début, répondre au téléphone de son voisin parti en pause, en réunion ou aux toilettes, se lever pour aller le trouver, finalement prendre un message et puis, avec le temps, laisser sonner, laisser sonner et s'énerver car si ça ne répond pas pourquoi laisser sonner dix fois ? Finalement, épuisé de ça, décrocher, battu.

J'aime beaucoup. Nous sommes loin de la froideur et des névroses houellebecquiennes de L'Extension du domaine de la lutte. Nous sommes plutôt dans la description du monde du travail que je connais, sans cliché, et avec malgré tout une empathie que je trouve nécessaire pour aborder ce sujet. Sortir du méchant chef et de la gentille victime exploitée, pour analyser les relations entre les collègues. Je me retrouve beaucoup dans la prose de Joachim, comme quand le narrateur dit apprécier de travailler quand le bureau est désert, de déjeuner seul avec un livre, etc. C'était c'est moi !
Vous trouverez rassemblées les contributions 2010 de Joachim sur son site/blog sous divers formats. Cela vous donnera peut-être envie de lire ses œuvres chez publie.net, notamment La Crise et Sans. Je n'ai pas encore décidé ce qui arrivera à mon personnage de la lettre J, je sais déjà qu'il se prénommera Joachim.