mercredi 23 décembre 2009

Du blog au livre

Parlons blogs et livres, et livres de blogs, à cause de Chevillard.

L'émotion rare
Le 8 décembre 2009, Éric Chevillard publie sur son autofictif :
Il est évident que le lecteur qui achète aujourd’hui un livre dès sa parution plutôt que d’attendre de le trouver d’occasion ou plus tard éventuellement en édition de poche, plutôt encore que de l’emprunter en bibliothèque – et quoi que l’on pense par ailleurs de ces usages certainement justifiés – fait montre envers l’auteur d’une attention (d’une prévenance, d’une délicatesse) qui est en passe de devenir pour celui-ci une émotion rare.

Il m'arrive d'être de ces lecteurs-là. De manière récurrente pour Jean Echenoz, Marie NDiaye ou Patrick Modiano. Cette liste ne vous étonne pas, j'en parlais ici. Et parfois pour quelques autres. Une fois achetés, il peut se passer quelques mois avant que je n'ouvre ces livres. Mais il me les faut rapidement, parfois même le jour de parution. Je n'explique pas cet étrange manie, certainement pas par la crainte d'une rupture de stock. Notez que, étrangement, quand vous allez le jour de parution d'un livre de Jean Echenoz dans une Fnac (ou un Virgin), vous avez la surprise qu'on vous réponde qu'il n'est pas encore disponible. À l'inverse, pour la sortie d'un tome d'Harry Potter, des ouvertures exceptionnelles étaient organisées à minuit le jour J. Pourtant, Harry Potter n'est pas publié chez Minuit, contrairement à Echenoz !

Choir de Éric Chevillard (Minuit)Revenons à Éric Chevillard. Au-delà de l'appel à la consommation (il sort deux livres en janvier) et au besoin légitime de tout écrivain de gagner de l'argent, j'ai la faiblesse de croire qu'il est sérieux lorsqu'il parle de cette émotion rendue plus rare.
Alors quoi, vais-je acheter les livres d'Éric Chevillard ? Le Normand que je demeure sera fidèle aux clichés : oui et non. Oui, le 14 janvier, j'achèterai son livre Choir. Parce que les premières pages m'ont convaincu.
Non, le 20 janvier, je n'achèterai pas la saison 2 de l'Autofictif, pour deux raisons. Premièrement parce que le 20 janvier je serai à New York (au Krispy Kreme, au Burger King, ou ailleurs), deuxièmement pour ce que je vais évoquer maintenant.

Livres de blogs
Pour moi, tenir un blog, fût-il littéraire, ce n'est pas écrire un livre.
L'Autofictif voit une loutre de Éric Chevillard (l'Arbre vengeur)C'est le cas de l'Autofictif. Chaque jour je me régale du tryptique, adapté au format blog, à l'actualité, mais il me semble qu'il perd de son intérêt passé au format livre. Surtout qu'il n'y a aucun travail d'édition, à savoir de tri, de correction, comme je l'ai déjà indiqué sur ce blog. La deuxième saison de l'Autofictif sort en livre, sous le titre l'Autofictif voit une loutre, le 20 janvier, chez l'Arbre vengeur.
C'est pour exactement les mêmes raisons que je ne sortirai pas les 807 en livre. On me l'a proposé, j'y ai beaucoup réfléchis, pensé à différentes options. Mais sortir les 807 en livre impliquerait un vrai travail d'édition, pour un résultat incertain. Qui achèterait un tel livre ? En vendrait-on 807 exemplaires à 8,07 euros ? Tiens, j'aimerais bien savoir combien l'Arbre vengeur a vendu d'exemplaires de l'Autofictif, certainement assez pour sortir la saison 2. De plus, l'intérêt de cette aventure 807 reste la diversité des participants, avec leur richesse et leur faiblesse, sélectionner certains 807 ou auteurs diminuerait cette diversité. Et comment être à la fois juge et partie, je fais partie de ceux qui ont écrit le plus de 807.
Il existe maintenant un mot un peu barbare pour désigner les livres issus d'un blog : blook (initié par Tony Pierce). Il existe même un prix du blook. Encore un mot inutile. Si ledit blook n'est qu'une suite d'élucubrations, qu'un journal intime, de l'autofictif à la Angot, le blook lui-même est inutile. Si le blook a été conçu comme un livre avec édition et corrections, alors c'est un livre, qu'importe si le brouillon était un blog ou du papier griffonné sur le bureau de l'auteur.

Enfin, laissons l'écriture bloguesque aux blogs.

Soyons juste, parfois, en ouvrant un livre, on se dit qu'une version blog aurait grandement suffi. C'est ce que je me suis dit encore aujourd'hui (enfin, hier, vu l'heure) en feuilletant le livre d'Anne Brochet, Un tour en ville, chez mon libraire. Des photos, de maigres textes. Je n'ai pas encore lu de livres d'Anne Brochet dont j'ai entendu plutôt de bons échos. Mais là, ce tour en ville, ne valait pas un livre, alors qu'en blog cela aurait pu donner quelque chose d'intéressant.

Petits pains au chocolat de Roxane Duru (Stéphane Million éditeurNotons ce qui reste pour moi la seule expérience intelligente autour des livres et des blogs, le livre de Roxane Duru, Petits pains au chocolat (Stéphane Million Éditeur). Elle a écrit son premier roman en utilisant les éléments d'un blog : posts et commentaires. On y trouve, comme un journal, par date des états d'âme, événements de la narratrice. Mais suivis de commentaires sous pseudo, avec souvent réponse de la narratrice. J'ai trouvé l'idée intelligente donc, un vrai style, mais je n'ai pas aimé. Je n'ai pas aimé parce que je me suis senti vieux, loin de ses états d'âme, du côté autofictif, de son style aussi.
Les jeunes s'y retrouvent certainement, les vieux cons comme moi pas du tout. Un article ici pour en savoir plus.

Liens bloguesques
On me demande pourquoi je ne mets pas tous mes amis dans la liste blogs sur le côté.
C'est vrai, il n'y a pas Georges Flipo, Gaëlle Pingault, Manu Causse, Joachim Séné, Jean Prod'hom, Emmanuelle Urien... (liste non exhaustive). Bah, la raison est simple, ne figurent que les blogs où on peut me lire (Mot Compte Double, Magali Duru, Calipso) ou entendre (Page 48), ou que j'ai créé (Les 807).

J'ajoute deux nouveaux liens, Les Chevaliers des touches, le blog que Martin Winckler a ouvert pour les écrivants, vous pouvez y lire un de mes textes sur le besoin d'écrire (vous avez le droit de ne pas être d'accord) et le Cabinet des curiosités d'Éric Poindron qui a relayé les 807, avec certains de mes messages, et dernièrement il a publié mes réponses à un questionnaire loufoque. J'espère qu'en lisant mes réponses vous vous amuserez autant que moi en les écrivant. C'est du blog, alors j'y ai recyclé du Chevillard. Je vous encourage à répondre à votre tour...
Je fréquente régulièrement ces blogs amis, et d'autres (La République des livres). J'en profite pour signaler le retour de Stéphane Laurent. On se connaît (virtuellement) depuis un bail, depuis l'époque où il avait créé un forum sur les concours de nouvelles. Je partage souvent ce qu'il écrit.
Alors la raison pour laquelle je le lis c'est surtout pour la façon dont il le dit ! Pas de demi-mesure chez Stéphane, parfois de la mauvaise foi (assumée) mais surtout une réelle passion pour la littérature.

Ça se termine
Eh oui, 2009 se termine, je vous souhaite de bonnes fêtes et de bons livres au pied du sapin. Pour commencer 2010, je vous prépare deux pastiches (Laurent Mauvignier pour une histoire de pancakes pour changer des doughnuts et Éric Faye pour une fièvre sexuelle), une seconde traduction en anglais et je vous parlerai de ce recueil de nouvelles collectif qui sortira pour le Salon (du livre de Paris, clin d'œil à Georges) à l'Atelier du Gué avec un de mes textes illustré par l'École Estienne.

Allez, à l'année prochaine !

Note du 28 décembre 2009 : le titre initial de ce billet était affreux, je le change pour du moins pire.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Mais l'Autofictif de Chevillard est un journal, une variation sur le genre, on ne publie pas une séection des meilleurs moments d'un journal, ce serait contre le principe même de la chose. Pourquoi le publie-t-il ? Parce que c'est tout de même une entreprise d'écrivain, qu'il y a dans ce blog quantité de traits, de réflexion, de formules poétiques,etc., qui méritent de rester et d'être lues et relues. Imaginez s'il continue pendant dix ans, quelle oeuvre nouvelle cela fera au final, tout une trajectoire d'écriture accompagnant sa vie et ses romans. Internet est sans mémoire, on a beau dire, alors que les livres sont la mémoire même. Chevillard a raison de publier ses notes : c'est plus sûr !
Bien à vous,
Michel Henry

Anonyme a dit…

Sans compter, pardonnez-moi d'y revenir, qu'il y a une cécité de la sphère internautique qui vous fait croire peut-être que tout le monde lit déjà le blog de Chevillard sur le toile. Pour ma part, je suis lecteur de ses romans et j'ai eu connaissance du blog après avoir vu et lu le livre. Je pense que Chevillard a aussi le souci de ces lecteurs qui ne le lisent pas sur Internet et que ce n'est pas pour ceux qui le suivent chaque jour qu'il le publie (même si toute bibliothèque s'honorerait de compter ces volumes qui par bien des aspects valent les recueils de Lichtenberg, de Perros ou de Cioran dont nul ne se plaint de (ne)les posséder (que) sur papier !).
Bien à vous,
Michel Henry

Anonyme a dit…

Bien dit, Henry!
Et voilà pourquoi on pourrait fort bien aussi publier les 807....
Sauf que le lecteur y perdrait une partie du plaisir qui a été celui de "l'habitué" du blog: celui de la co-élaboration de ces aphorismes: celui de découvrir peu à peu les trouvailles de ses voisins, de s'en régaler, de rebondir dessus, de rivaliser, de cligner de l'oeil, bref d'être aussi dans la création, et pas seulement dans la consommation.

JP a dit…

Ce que j'entends dans ce qu'écrit Franck Garot vers minuit, à côté de ce qu'il dit, c'est une ligne, une ligne sobre loin des lobbies. Et ça fait du bien. Son profil est de face et je comprends cette ligne. (J'aurais d'ailleurs aussi préféré que l'Autofictif demeure là où il est né au risque de ne jamais y revenir. Mais y revient-on? et qui?)
... une ligne sobre, loin des lobbies, disais-je, avec un vent de travers qui l'a amené à engager et à mener jusqu'au bout une aventure de fous, une aventure pour rien, les 807.
Etait-ce le moment et le lieu de dire mon admiration?

Joël H a dit…

Oui, oui, c'est le moment!
Franck Garot grandit en littérature à vue d'oeil.
Vieux con, toi? Pas encore, Franck! Et puis, on ne choisis pas de l'être. C'est un travail de tous les jours, tu sais. Il faut commencer jeune...

PhA a dit…

Vos scrupules vous honorent - mais sont quand même un peu sévères. A coup sûr, comme vous, en janvier c'est Choir que j'achèterai ; mais surtout parce que je lis déjà l'Autofictif quotidiennement. N'en privons pas cependant les lecteurs externautes.

JP a dit…

Mais oui ! C'est excellent, l'Autofictif. On veut le livre!

fg a dit…

@ Michel Henry
Je comprends vos points sur le journal d'un auteur, et sur la source d'informations inestimable sur le travail d'un écrivain, sur l'éphémère de l'internet.
Mes réserves sur l'Autofictif en livre viennent certainement de mon goût peu prononcé pour le journal des auteurs. Je préfère lire l'œuvre des auteurs et ne considère pas leur journal comme faisant partie de cette œuvre. Ceci dit, l'Autofictif est-il un journal d'auteur ? Chevillard lui-même a déclaré qu'au départ il a créé son blog pour se moquer des blogs d'auteur, de l'approche autofictive de la littérature par Angot et assimilés. Évidemment, il s'est pris au jeu, et son autofictif est devenu un blog inédit, et drôle, et indispensable. Néanmoins, cela vaut-il un livre ? Je ne le pense pas.
Quant au défaut de mémoire de l'internet, permettez-moi d'en douter. Permettez-moi de penser exactement le contraire. Et de signaler cet autre objet littéraire inédit qu'est le site de Jean-Philippe Toussaint (http://www.jptoussaint.com/). Une mine d'informations sur son œuvre, les différentes épreuves de ses romans, des vidéos tournées versions pendant l'écriture, etc. Et je me prends à rêver d'un site semblable sur Chevillard, ou Echenoz, ou...
Enfin, je suis persuadé que le blog l'autofictif a plus de lecteurs que les romans de Chevillard. Dans ce contexte, l'autofictif en livre, pour moi, n'est qu'un livre pour spécialistes.

@ Anonyme
Je n'empêcherais pas une sortie des 807 en livre, je donnerais même mon accord pour publier mes propres 807. Mais comme je ne crois pas à un tel projet, je ne m'en occuperais pas.

@ Jean et Joël
Pas sûr d'avoir mériter tant d'admiration !

@ Philippe
Oui, je suis sûrement sévère, et en effet, je n'ai pas pensé aux externautes. Comme toujours, vos arguments font mouche. Et votre visite sur ce blog m'honore.

Bien entendu, je reste un fidèle lecteur du blog l'Autofictif.

camphi a dit…

chouette, suis d'accord, aime bcp les liens

Frédérique M a dit…

Tu seras à New York ! Mais est-ce que tu es chez toi parfois ? Ma fille sera folle de jalousie, elle rêve d'y aller. Bonne année, Franck, à bientôt.

Trouillefou a dit…

Eh bien, cher Franck, il semble que ce jour (4 janvier) Eric C vous réponde, point à point et très précisément, sur l'autofictif...

Bon je file chez l'autre Eric (Poindron) voir vos réponses à son questionnaire, avec un peu de réserve cependant. Les questionnaires, façon Proust ou façon Elle ("êtes-vous plutôt clitoridienne ou vaginale", par exemple, lu avec accablement chez le dentiste, là où je n'étais, en fait, que douleur dentaire...) ont une tendance à figer les personnalités, à mon avis changeantes comme la météo. Par exemple, aujourd'hui, j'ai comme une éclaircie traversant d'ouest en est, alors que je ne peux garantir que demain, une dépression ne vienne peser comme un couvercle, sur le ciel bas et lourd de mon front pesant. En quelque sorte.

Zut, avec tout ça, j'en ai oublié de vous souhaiter la bonne nouvelle année, et de vous remercier encore d'avoir éclairé un peu, quotidiennement, l'ancienne, 807 fois en fait !

Votre

Clopine

fg a dit…

@ Camille
Visiblement, je suis un bon dealer. De liens.

@ Frédérique
Oui, je suis chez moi, et souvent en fait. Les voyages se font plus rares. Je boirai une root beer à la santé de ta fille.

@ Clopine
J'ai lu ça ce matin, très bonne réponse en effet, en supposant qu'il se soit perdu sur mon modeste blog. Bonne année à vous aussi en espérant que mes réponses au questionnaire auront égayé votre quatrième journée de cette nouvelle année.