Ce soir, je vous parle de deux amis romanciers. Je les ai connus nouvellistes quand nous participions aux concours de nouvelles. Ils ont tous les deux publié trois recueils de nouvelles, côté romans, Georges en a un d'avance sur Emmanuelle qui sortait fin janvier son premier. Et moi, j'ai publié quoi ? Euh, c'est pas le sujet du billet.
Le film va faire un malheur de Georges Flipo
Je craignais le pire avec le second roman de Georges Flipo. On disait ça et là que son livre ferait un excellent film, ce que l'auteur ne démentait pas. En général, les romans qui font d'excellents films m'ennuient profondément. Lire un scénario, c'est pas ma came. Dans la littérature qui m'intéresse, l'histoire n'est qu'un élément, parfois même mineur, voire inexistant. Le style et le point de vue m'importent davantage. Bref, ça partait mal. C'était sans compter sur l'ami Flipo, et son ironie, sa férocité, sa concision, son rythme...
Commençons par les personnages. Alexis Pirief est odieux, lâche, couard aussi. J'adore Alexis Pirief. Sammy Raggi, le malfrat qui va enrôler Pirief dans cette histoire, n'a rien d'un héros non plus. Des personnages qui nous ressemblent en quelque sorte. Et le meilleur rôle revient à Clara. Déjà, dans son premier roman, Le Vertige des auteurs, le personnage féminin, Arlette, avait sur la fin une dimension dramatique intéressante. Ici, avec Clara, il ajoute la classe, la finesse. J'ai rarement lu un portrait aussi subtil. Le lecteur ne peut que tomber amoureux de Clara.
Ensuite, le style. Concis, juste, intelligent. Georges abhorre le gras, surveille la ligne de son style. Je lui en suis reconnaissant. Manger, bouger, comme ils disent à la radio.
Et puisque l'on parle de bouger, cela nous amène à l'histoire, puisque Georges aime raconter des histoires. C'est un peu alambiqué tout ça, ça part dans plusieurs directions. Une histoire pareille où les rebondissements arrivent à chaque chapitre, où le rythme est rendu plus vif avec un style concis, me fait penser à un tourniquet. Lorsque l'on monte sur un tourniquet, qu'on est lancé à vive allure, le risque est de devenir nauséeux (ou malaucoeureux comme on dit en Normandie) ou complêtement étourdi à ne plus marcher droit. Heureusement, je n'en suis sorti qu'étourdi, ouf ! mais grands Dieux, ça dépote ! Très bonne fin aussi.
J'ai donc, en tout objectivité, beaucoup aimé le livre de Georges. Et j'attends le prochain avec impatience.
Quatre points néanmoins : 1) j'ai immédiatement vu l'entourloupe avec la photo de Babacar Diop ; 2) prendre la Golf pour aller de la rue Amiral de Maigret à Trouville au Tennis-Club, c'est a-bu-sé comme disent les jeunes ; 3) la ville de L***. Les noms de villes sont indiqués partout dans le roman sauf pour la ville de L***. Pourquoi ? Peur du maire ? Pour moi, c'est Lisieux, point barre, et tant pis pour le maire (qui n'est pas sénateur, d'ailleurs) ; 4) la partie africaine vers la fin, m'a paru too much.
Précisons qu'il a paru au Castor Astral, une excellente maison d'édition.
Tu devrais voir quelqu'un d'Emmanuelle Urien
Emmanuelle Urien a écrit trois recueils de nouvelles aussi bons que noirs, je cite : Court, noir, sans sucre chez l'Être minuscule, Toute humanité mise à part chez Quadrature et La Collecte des monstres chez Gallimard. Elle passe au roman avec Tu devrais voir quelqu'un (bravo pour le titre, au passage).
Sans détour : j'ai adoré le premier roman d'Emmanuelle. Cela correspond exactement à mes goûts littéraires. Janvier, le personnage qui fait irruption dans la vie de Sarah, m'a fait immédiatement pensé à Lucky le personnage de Beckett dans En attendant Godot, peut-être parce qu'il ne parle pas, qu'il est drôlement vêtu, je ne sais pas.
C'est noir, parfois drôle, et totalement maîtrisé. Intelligence du premier chapitre contre la chronologie (j'ai pensé à Toussaint), les insultes fortes et indispensables (parfait, ce "sale petite pute" violent mais adapté), l'italique omniprésent qui finalement rend la lecture plus fluide, les petites trouvailles comme celle du déjeuner par ordre alphabétique. Et là aussi pas de gras, les os à vif même, la douleur à l'état pur : la douleur de l'amour et la douleur de l'écriture, et dans les deux cas, douleur se conjuguant avec solitude. De la belle ouvrage.
Pour être complet, je me dois de parler de la fin, une fin de nouvelliste, idéale. Je parle ici de l'idée de la fin, car tout de même, ce dernier chapitre, c'est vraiment dommage : l'idée est là, seulement il manque les bons mots. C'est pour moi la seule déception à la lecture de ce roman, le style ici marque un peu le pas, en-deça des autres chapitres.
Emmanuelle est nouvelliste, rappelons-le, et en écrivant un premier roman de cette qualité, elle court le risque qu'on lui en réclame un second. J'en fais partie. Après le quatrième recueil alors, d'accord ?
Précisons qu'il a paru chez Gallimard, un petit éditeur prometteur.
Demain (ne rigolez pas), je vous parle de Françoise Guérin et de Manu Causse.
__________
En me relisant, je me rends compte que j'ai oublié de citer les recueils de Georges : La Diablada et Qui comme Ulysse chez Anne Carrière et L'Étage de Dieu chez Jordan (Belgique)
Le film va faire un malheur de Georges Flipo
Je craignais le pire avec le second roman de Georges Flipo. On disait ça et là que son livre ferait un excellent film, ce que l'auteur ne démentait pas. En général, les romans qui font d'excellents films m'ennuient profondément. Lire un scénario, c'est pas ma came. Dans la littérature qui m'intéresse, l'histoire n'est qu'un élément, parfois même mineur, voire inexistant. Le style et le point de vue m'importent davantage. Bref, ça partait mal. C'était sans compter sur l'ami Flipo, et son ironie, sa férocité, sa concision, son rythme...
Commençons par les personnages. Alexis Pirief est odieux, lâche, couard aussi. J'adore Alexis Pirief. Sammy Raggi, le malfrat qui va enrôler Pirief dans cette histoire, n'a rien d'un héros non plus. Des personnages qui nous ressemblent en quelque sorte. Et le meilleur rôle revient à Clara. Déjà, dans son premier roman, Le Vertige des auteurs, le personnage féminin, Arlette, avait sur la fin une dimension dramatique intéressante. Ici, avec Clara, il ajoute la classe, la finesse. J'ai rarement lu un portrait aussi subtil. Le lecteur ne peut que tomber amoureux de Clara.
Ensuite, le style. Concis, juste, intelligent. Georges abhorre le gras, surveille la ligne de son style. Je lui en suis reconnaissant. Manger, bouger, comme ils disent à la radio.
Et puisque l'on parle de bouger, cela nous amène à l'histoire, puisque Georges aime raconter des histoires. C'est un peu alambiqué tout ça, ça part dans plusieurs directions. Une histoire pareille où les rebondissements arrivent à chaque chapitre, où le rythme est rendu plus vif avec un style concis, me fait penser à un tourniquet. Lorsque l'on monte sur un tourniquet, qu'on est lancé à vive allure, le risque est de devenir nauséeux (ou malaucoeureux comme on dit en Normandie) ou complêtement étourdi à ne plus marcher droit. Heureusement, je n'en suis sorti qu'étourdi, ouf ! mais grands Dieux, ça dépote ! Très bonne fin aussi.
J'ai donc, en tout objectivité, beaucoup aimé le livre de Georges. Et j'attends le prochain avec impatience.
Quatre points néanmoins : 1) j'ai immédiatement vu l'entourloupe avec la photo de Babacar Diop ; 2) prendre la Golf pour aller de la rue Amiral de Maigret à Trouville au Tennis-Club, c'est a-bu-sé comme disent les jeunes ; 3) la ville de L***. Les noms de villes sont indiqués partout dans le roman sauf pour la ville de L***. Pourquoi ? Peur du maire ? Pour moi, c'est Lisieux, point barre, et tant pis pour le maire (qui n'est pas sénateur, d'ailleurs) ; 4) la partie africaine vers la fin, m'a paru too much.
Précisons qu'il a paru au Castor Astral, une excellente maison d'édition.
Tu devrais voir quelqu'un d'Emmanuelle Urien
Emmanuelle Urien a écrit trois recueils de nouvelles aussi bons que noirs, je cite : Court, noir, sans sucre chez l'Être minuscule, Toute humanité mise à part chez Quadrature et La Collecte des monstres chez Gallimard. Elle passe au roman avec Tu devrais voir quelqu'un (bravo pour le titre, au passage).
Sans détour : j'ai adoré le premier roman d'Emmanuelle. Cela correspond exactement à mes goûts littéraires. Janvier, le personnage qui fait irruption dans la vie de Sarah, m'a fait immédiatement pensé à Lucky le personnage de Beckett dans En attendant Godot, peut-être parce qu'il ne parle pas, qu'il est drôlement vêtu, je ne sais pas.
C'est noir, parfois drôle, et totalement maîtrisé. Intelligence du premier chapitre contre la chronologie (j'ai pensé à Toussaint), les insultes fortes et indispensables (parfait, ce "sale petite pute" violent mais adapté), l'italique omniprésent qui finalement rend la lecture plus fluide, les petites trouvailles comme celle du déjeuner par ordre alphabétique. Et là aussi pas de gras, les os à vif même, la douleur à l'état pur : la douleur de l'amour et la douleur de l'écriture, et dans les deux cas, douleur se conjuguant avec solitude. De la belle ouvrage.
Pour être complet, je me dois de parler de la fin, une fin de nouvelliste, idéale. Je parle ici de l'idée de la fin, car tout de même, ce dernier chapitre, c'est vraiment dommage : l'idée est là, seulement il manque les bons mots. C'est pour moi la seule déception à la lecture de ce roman, le style ici marque un peu le pas, en-deça des autres chapitres.
Emmanuelle est nouvelliste, rappelons-le, et en écrivant un premier roman de cette qualité, elle court le risque qu'on lui en réclame un second. J'en fais partie. Après le quatrième recueil alors, d'accord ?
Précisons qu'il a paru chez Gallimard, un petit éditeur prometteur.
Demain (ne rigolez pas), je vous parle de Françoise Guérin et de Manu Causse.
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En me relisant, je me rends compte que j'ai oublié de citer les recueils de Georges : La Diablada et Qui comme Ulysse chez Anne Carrière et L'Étage de Dieu chez Jordan (Belgique)