jeudi 11 juin 2009

Spaghettis hugoniaises

Comme indiqué mardi, j'accueille exceptionnellement un invité sur ce blog en la personne de Xavier Garnerin qui illustre ce soir le stage d'écriture de pastiches avec cette recette très librement inspirée de la préface de Cromwell, la pièce de Victor Hugo.

Spaghettis hugoniaisesPour 4 personnes :
– trois bons kilogrammes de spaghettis en provenance de la supérette du coin
– un gros bocal de sauce bolognaise
Temps de préparation : 8 minutes

Servir l’air pénétré tout en agitant de grandes idées générales

NB : ce plat est adapté à la cuisine en collectivité, mais plus subrepticement

1- Instaurer l’avènement dans l’opposition
Du jour où Barilla a dit à l’homme : « Tu es double, tu es composé de deux êtres, un homme et une nouille, l’un périssable, l’autre immortelle, l’un charnel, l’autre aux œufs frais, l’un enchaîné par les appétits, les besoins et les passions, l’autre conditionnée dans la grandiloquence du rêve, celui-ci enfin toujours courbé vers la gazinière, sa mère, celle-là sans cesse vantée par la publicité, sa patrie » ; de ce jour les spaghettis hugoniaises ont été créées. Est-ce autre chose en effet que ce contraste de tous les jours, que cette lutte de tous les instants entre deux principes opposés qui sont toujours en présence dans la vie, et qui se disputent l’homme d’11 h 30 jusqu’à la somnolence postprandiale ?

2- Ne pas hésiter à fonder la thèse dans les références historiques habituelles, pour poursuivre
La cuisine est née du christianisme, la cuisine de notre temps n’est donc pas un drame ; car le caractère du drame n’est pas la pâte ; la pâte résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le dur et le mou, qui se succèdent dans l’eau bouillante, comme elle progresse avant toute chose de l’hypermarché au placard. Car la cuisine vraie, la cuisine complète, est dans l’harmonie du même. Puis, il est temps de le dire hautement, et c’est ici surtout que les exceptions confirmeraient la règle, tout ce qui est dans le commerce se retrouve dans l’assiette.

3- Conférer au pronom indéfini les vertus de la solution en travaillant sur le registre de la petitesse et du complexe
En se plaçant à ce point de vue pour juger nos petites recettes à quatre sous, pour débrouiller tous ces savoir-faire scolastiques, pour résoudre tous ces problèmes de goût que les critiques des deux derniers siècles ont laborieusement bâtis autour de la nouille, on est frappé de la promptitude avec laquelle la question, dans la cuisine moderne, ne se pose plus.

4- Rendre compte de la crétinerie des autres, qui non seulement se mêlent de parler de ce qu’ils n’entendent point, mais de plus ne nous arrivent pas à la cheville
Ainsi, que des pédants étourdis (l’un n’exclut pas l’autre) prétendent que la conserve, la sauce en boîte, le tube, ne doit jamais être un adjuvant possible à la nouille, on leur répond que la sauce en boîte, ça se mange, et qu’apparemment, ce qui se mange fait partie de la nourriture. Lustucru n’est qu’un Arlequin bicolore. Panzani sonne son pesant d’italien ; Panzani et Lustucru n’en sont pas moins d’admirables produits qui présagent de la sieste.

5- Convoquer une géométrie en kit pour trier dans un bouquet de qualificatifs opposés
Que si, chassés de ce retranchement dans leur seconde ligne de douanes, ils renouvellent leur prohibition de la conserve alliée à la pâte, de la sauce en boîte fondue dans la nouille, on leur fait voir que, dans la cuisine des peuples chrétiens, le premier de ces deux types représente la bête humaine, le second l’âme. Ces deux tiges de l’art culinaire, si l’on empêche leurs rameaux de se mêler, si on les sépare systématiquement, produiront pour tous fruits, d’une part des abstractions de vices, de ridicules ; de l’autre, des abstractions de crime, d’héroïsme et de vertu publicitaires. Les deux types, ainsi isolés et livrés à eux-mêmes, s’en iront chacun de leur côté, laissant entre eux l’abomination de la faim, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. D’où il suit qu’après ces abstractions, il restera toutefois à l’homme quelque chose à cuisiner : de la bonne nouille sanctifiée à la sauce des bas-fonds.

Xavier Garnerin

3 commentaires:

Lastrega a dit…

Retournez l'assiette, Xavier, derrière, elle porte l'inscription : "ChiEss G.collection" Porcelaine. Je vous dis ça, parce que j'ai le même service à la maison. Etonnant, non ? Mais avant, mangez ce qu'il y a dedans. Fameux, hein ! Allez, un petit coup de "Rouquino" pour faire passer le tout...

M agali a dit…

Bravo, Xavier, c'est puissamment hugolisé!
Cette préface de Cromwell mérite d'être relue. Surtout le passage:
"La pastasciutta en effet, après avoir dominé la société méditerranéenne a envahi le monde occidental. Dans cette société, tout est simple, tout est gastronomique. La pasta est religion, la religion est loi. A la Blédina du premier âge a succédé la spaghettata du second. Nous le répétons, l'expression d'une pareille civilisation ne peut être que la cuisson des pâtes réussie. Le macaroni y prendra plusieurs formes, mais ne perdra jamais son caractère de nouille. Panzani est plus convivial et patriarchal, Barilla plus lyrique et gastronomique ? Si les analystes, contemporains nécessaires de cet âge d’or du monde, se mettent à recueillir sur le divan les associations libres, ils en conviendront : la gastronomie de la mamma est mère de la poésie, « mangez des pâtes mais des Panzani » engrammé dans les inconscients.
Tout publicitaire vantant le macaroni est un Homère."

Françoise a dit…

Ca force le respect. Et la sieste...