vendredi 27 mars 2009

Motoki, Kawabata et moi

J'annonce que ma nouvelle La vie en atari est publiée en bonus littéraire du dernier livre de Motoki Noguchi, Tsumego, l'art du combat au jeu de go, aux éditions Praxeo.

Promouvoir la nouvelle
Tsumego, l'art du combat au jeu de go, (c) Praxeo 2009, 544 pages, 39 euros En 2005, alors que je débutais dans l'écriture, je participais à des forums où l'on se plaignait de la place de la nouvelle en France, du quasi-monopole du roman, de cette contrainte de chute obligatoire. Bien entendu, on ne remettait pas en cause la qualité des recueils de nouvelles : c'était un coup monté par les éditeurs et les médias... Oh, on n'était pas à cours d'idées pour changer tout ça. Je me souviens de celle qui consistait à forcer les éditeurs à offrir une nouvelle pour tout achat de roman. J'avais moi-même envoyé une lettre au ministre de la Culture de l'époque pour proposer une "Star academy de la nouvelle". Ce projet, que je décrirai peut-être ici un jour, fut étudié par Radio-France, et rejeté. Au moins, j'avais essayé.
Bien entendu, il faut louer le travail des petites maisons d'édition (Quadrature, D'un noir si bleu, Filaplomb, etc.) ou les revues (Brèves, l'Encrier renversé, Pr'Ose!, Sol'Air, etc.) qui défendent le genre, d'ailleurs je suis plutôt un bon client.
Ce que propose Praxeo aujourd'hui, c'est d'aller chercher des lecteurs ailleurs que dans le cercle restreint des amateurs de nouvelles.

Motoki, le maître de go
Motoki aime la France, et la langue française. D'ailleurs, il s'est installé à Tours pour apprendre le français car, paraît-il, c'est la ville où on le parle le mieux. 18 mois après son arrivée en France, Patrick Venant du club de go de Tours le présente à Alexis Beuve des éditions Praxeo. Commence alors l'aventure du langage des pierres, son premier livre, une aventure à laquelle j'ai modestement participé pour les relectures. Son livre devient dès sa sortie une référence pour l'apprentissage du go. Car Motoki n'est pas seulement un maître de go, mais aussi un excellent pédagogue. Par exemple, il a l'idée géniale de construire son livre comme un dialogue entre un maître et son élève. Son deuxième opus, plus ambitieux, est très attendu. Enfin, Motoki est le champion de France en titre.
Vous pourrez le rencontrer demain à Paris pour un événement exceptionnel. Si, comme moi, vous ne pouvez pas venir, sachez que d'autres sont en préparation (à suivre sur le site de l'éditeur), j'espère avoir un jour l'occasion d'affronter Motoki !

Le Kawabata du pauvre
Bien entendu, ma nouvelle parle de go. C'est même d'une partie de go qu'il est question. Et là, s'approche l'ombre tutélaire du grand Kawabata, premier Japonais prix Nobel de littérature, et son livre, Le Maître de go, la référence pour tout joueur de go. Je n'ai pas la prétention me mesurer à Kawabata : ma nouvelle ne fait que 7 pages, la partie est fictive et je souhaitais introduire des sujets que je traite habituellement dans mes textes comme la mort, le sens de la vie, les actes manqués, etc. Son titre, La vie en atari, signifie la vie en danger.
La première version de ce texte date de 2005. Motoki m'a raconté cette étrange impression en la relisant quelques années plus tard (et beaucoup de modifications) car, l'un des deux joueurs a 15 ans, ce qui lui a rappelé cette finale mémorable du championnat de France qu'il jouée depuis (août 2008) contre le jeune Thomas Debarre. Il l'a gagnée de justesse (un demi-point !), mais contrairement à ma nouvelle, il n'y a pas eu de "grande avalanche"...
J'espère que les joueurs comme les amateurs de littérature apprécieront ma nouvelle. Quoi qu'il en soit, merci à Motoki et Alexis d'avoir permis cette expérience et d'avoir joué les consultants techniques de choc. Une expérience que je conseille aux nouvellistes, d'ailleurs d'autres livres sont en préparation (go, shogi, xang qi, poker, etc.), avis aux amateurs !
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Illustration : Ermites jouant au go. Paravent du XVIe-XVIIe siècle
Tsumego, l'art du combat au jeu de go, (c) Praxeo 2009, 544 pages, 39 euros
Jeu de go, le langage des pierres, (c) Praxeo 2005, 2007, 244 pages, 24.90 euros

dimanche 15 mars 2009

Dans ton tag !

Connaissez-vous Manu Causse ? Non ? Veinards ! Il risquerait de vous taguer comme il l'a fait sur son blog : Dans ton blog. Un tag, c'est un truc débile qui s'apparente aux chaînes. Ceux qui ne causent pas blog trouveront une définition sur Dicoblog. Le tag en question : en gros, s'il ne me restait que 500 euros et 500 secondes à vivre, c'est quoi que je ferais ? Vous voyez le niveau. Il faut ajouter qu'en plus je dois illustrer ça avec la 6e image du dernier répertoire (*). Aucun intérêt. Et pour le prouver, évidemment, je vais y répondre. Commençons par l'image.

Quand j'ai lu le billet de Manu, je convertissais un fichier WMA en MP3. Je sais, j'ai une vie trépidante. Je précise que je ne piratais rien du tout (retenez vos chiens, chères, très chères maisons de disques) mais je préparais une lecture pour les Mots dits, un excellent texte d'Annie Mullenbach-Nigay lu par Françoise Guérin, là tout suite, ma vie devient beaucoup plus intéressante... Donc, j'étais perdu dans mes répertoires dédiés aux blogs. Je prends au hasard cette reproduction d'une estampe. Histoire d'annoncer mon prochain billet.
Un jeune garçon et une jeune fille jouant au go. Rouleau vertical datant du XVIIe siècle.
Passons aux 500. S'il ne me restait que 500 secondes, j'essaierais de faire quelque chose d'inédit. Tiens, comprendre les probabilités par exemple. J'ai toujours été une bille en proba. Je pourrais ainsi tenter de vérifier la loi binômiale. Quand on lance une pièce, elle a une chance sur deux de tomber sur face et autant de tomber sur pile, mais si on lance 1000 fois la pièce, par sûr qu'elle tombe finalement 500 fois sur chaque côté. Ça me paraît une excellente occupation pour terminer sa vie. Je pourrais utiliser ces 500 euros et ces 500 secondes pour faire l'expérience.

Disons que les 500 euros se présentent sous la forme de 500 pièces de 1 euro. J'entends les voix qui me soufflent que je pourrais lancer 500 fois la même pièce. Mais je préfère en lancer 500, les laisser retomber et ne plus y toucher pour faciliter le calcul, je rappelle que je n'ai que 500 secondes. D'aucuns me retorqueront que les pièces ne sont peut-être pas équilibrées et que cela peut influer sur le résultat. En effet, je fais aucunement confiance aux italiens pour nous frapper des euros équilibrés, et les anglais, vous avez vu la tête des euros anglais ? Pour éviter tout problème les euros seront français, ils seront équilibrés, et ceux qui contestent ce dernier point seront dénoncés à notre président.

Ceci dit, 500 pièces en 500 secondes, ça fait beaucoup. Des pièces de 2 euros feront l'affaire, 250 pièces, c'est jouable. Les pièces de 3 euros sont trop lourdes, et on n'arriverait pas à 500 euros. Va pour 2 euros. Voilà, je lancerais 250 pièces de 2 euros et vérifierais que 125 seront tombées sur face et autant sur pile. Alors, avez-vous trouvé un intérêt à ce billet ? Non, hein ? C'est édifiant de bêtise. Plus jamais je ne répondrai à un tag. Qu'on se le dise.

La semaine prochaine, je vous parlerai de Kawabata pour relever le niveau.
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(*) Cette histoire d'image ne figure pas dans la règle initiale du tag des 500 qui se trouve ici.
Illustration : Un jeune garçon et une jeune fille jouant au go. Rouleau vertical datant du XVIIe siècle.

dimanche 1 mars 2009

Rebours

Dix. Il fait froid ici. Le vent certainement. C’est que je suis sur le toit de mon entreprise, à trente mètres du sol. Bientôt ils n’auront plus besoin d’un immeuble si haut. Ils délocalisent. Bangkok. Il paraît que c’est mieux pour l’entreprise. Et c’est mieux pour les actionnaires. C’est mieux pour moi aussi, car j’ai maintenant un nouveau challenge : trouver un nouveau boulot. Avoir des challenges, c’est important dans mon métier.

Photo Franck GarotNeuf. Dans mon métier, les syndicalistes sont rares. Les cadres ne font pas appel aux syndicats. Vous comprenez, c’est pour les ouvriers qualifiés, la main-d’œuvre, pas pour nous. Sauf quand on se fait virer évidemment. Mais là, c’est différent : on se moque bien du regard des autres. Il faut payer les traites de l’appartement, du 4x4 ou de l’installation home cinema. Encore faut-il qu’il reste des représentants syndicaux.

Huit. Les représentants syndicaux, cela fait six mois qu’il n’y en a plus, tout comme les membres les plus virulents du Comité d’entreprise. Ils sont tous mutés dans une autre filiale, une autre région, pour un nouveau poste, un nouveau salaire. Le vent nous portera disait la chanson. Il les a portés loin d’ici, loin du conflit, loin de ceux qui les avaient méprisés pendant des années et qui les maudissent maintenant de n’être plus là pour les aider. Ils sont tous partis, comme Alain.

Sept. Alain, le délégué syndical qui travaillait à la compta. On faisait du foot ensemble, les tournois, le championnat interentreprises. L’amitié virile, les matchs à la télé en buvant des bières. Il est venu plusieurs fois à la maison. Je n’avais rien vu venir. Et pourtant il venait de plus en plus souvent. Jusqu’au jour où il est parti avec Nathalie, ma femme.

Six. Nathalie, ma femme, devait s’ennuyer avec moi. Je partais tôt, rentrais tard. Sans compter les diverses missions et les séminaires. Si on ne donne pas de son temps à l’entreprise, vous savez, on ne progresse pas. Et du temps, Nathalie en disposait avec son mi-temps au magasin, surtout que les enfants sont grands maintenant. Elle a fini par se lasser de m’attendre. Et Alain, le comptable, qui se foutait bien de sa carrière, avait lui aussi du temps à perdre.

Cinq. Perdre. Voici un nouveau mot dans mon vocabulairePhoto Franck Garot. Je perds mon boulot, je perds ma femme. Je perds mes enfants aussi ; ils suivent leur mère. Je perds mes amis, au club, il n’y a pas de place pour les losers comme moi. Quelle pourrait être ma vie maintenant ? Je ne veux pas m’humilier dans des entretiens d’embauche. Ni dans un divorce. J’ai finalement décidé de partir.

Quatre. Décidé de partir, oui mais pour où ? Tout quitter, larguer les amarres, aller au bout du monde, devenir aventurier, chercheur d’or. Je n’irais pas à Bangkok, évidemment. Plutôt Mayotte, Madagascar, les Marquises, la Patagonie, Bahia… Oui, je pourrais changer de vie.

Trois. Changer de vie pour mieux l’oublier. Mais comment oublier l’aliénation de mon travail, la honte d’un mariage raté ? Comment continuer à vivre dans ce monde, acculé de toutes parts par les donneurs de leçons ou les marchands, où l’on subit chaque jour les plus voraces, les plus forts ? Comment se mettre entre parenthèses de ce monde-là, de ce monde pour lequel je ne suis plus adapté ?

Deux. Je ne suis plus adapté à ces faux semblants, l’hypocrisie des collègues compatissants ou des amis devenus prévenants. Je change. Je lâche prise. Je quitte les réseaux d’influence. Je passe du côté des inactifs, des parasites, comme si je passais à l’ennemi en quelque sorte. Pourrai-je le supporter ?

Un. Supporter ce monde que je vomis à présent ? Je ne veux que le fuir ; je peux m’évader ou tout quitter. Prendre un aller simple vers l’inconnu ou m’enfermer entre quatre planches de sapin blanc. À trente mètres du sol, je n’ai que deux options : je pars ou je saute.

Zéro. Je saute ?
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Ce texte a été publié dans le numéro 35 de la revue Sol'Air.
Photos: Franck Garot